Déserts Médicaux et Liberté d’installation des Médecins

Interview dans Ligne Droite sur Radio Courtoisie de Line CABOT, Secrétaire Générale du Syndicat Liberté Santé (SLS)

Déserts Médicaux et Liberté d’installation des Médecins

Interview de Line CABOT dans Ligne Droite sur Radio Courtoisie

Line CABOT, médecin généraliste et Secrétaire Générale du Syndicat Liberté Santé (SLS), était l’invitée de Liselotte Dutreuil ce mercredi 7 mai 2025 dans la matinale de Ligne Droite, diffusée sur Radio Courtoisie.

🎙️ Au programme :

➤ La situation critique des déserts médicaux en France,
➤ Les menaces sur la liberté d’installation des médecins,
➤ Les mesures coercitives du gouvernement (Proposition de loi visant à lutter contre les déserts médicaux, régulation de l’installation, loi Valletoux, obligations de garde …),
➤ La vision du Syndicat SLS pour une médecine libérale respectée, libre d’exercer et de son installation, et réellement au service des patients pour un soin à visage humain.

Line CABOT alerte sur les risques d’une régulation autoritaire de l’installation des médecins et défend une approche centrée sur la revalorisation des conditions d’exercice, le respect du consentement éclairé et de la liberté professionnelle pour garantir un accès aux soins digne de ce nom pour les citoyens.

Transcription de l’interview sur les déserts médicaux

Liselotte Dutreuil (Journaliste, Ligne Droite) : Et pour ce grand réveil chers auditeurs, nous allons parler des déserts médicaux. Faut-il contraindre les médecins ? Pour répondre à cette question, nous retrouvons Line Cabot qui est médecin généraliste et par ailleurs secrétaire général du Syndicat Liberté Santé. Bonjour Line Cabot, merci d’être avec nous ce matin.

[Problème technique]

Liselotte Dutreuil : En attendant que le problème technique se résolve, parlons des déserts médicaux en France qu’on connaît bien. Ici à Paris, bien sûr, c’est un peu préservé, mais qui vient de province comme on dit – et moi-même de la même façon – je pense qu’on peut le dire, c’est un vrai sujet. Qui n’a jamais tenté de réserver un rendez-vous chez son médecin généraliste ? Ne parlons même pas des spécialistes, parce qu’alors là, pour un dermatologue par exemple, c’est parfois un an d’attente.

Liselotte Dutreuil : Dans mon village, il y a deux médecins qui se battent en duel et quand ils ne sont pas en vacances ou ailleurs, c’est très compliqué pour prendre des rendez-vous et pour avoir des places. Il y a des énormes délais d’attente. Donc un vrai problème pour les Français, et heureusement François Bayrou a décidé de s’en saisir, pour le bonheur ou le malheur des médecins. C’est ce qu’on va essayer d’éclaircir. Line Cabot, je crois que le problème technique est résolu. Est-ce que vous nous entendez ?

Line CABOT : Oui, je vous entends très bien.

Liselotte Dutreuil : Parfait, on vous entend aussi. Avec ma collègue, à l’instant, on parlait de ces fameux déserts médicaux. Aujourd’hui, François Bayrou semble proposer des solutions pour pouvoir résoudre le problème. Il s’agirait de réguler la façon dont les médecins s’installent et se dispersent sur le territoire français. Évidemment, ça provoque la colère des médecins. Mais peut-être commençons par poser le constat, justement, parce que c’est vrai qu’aujourd’hui il y a un problème en France de répartition des médecins. Beaucoup de Français n’ont pas accès aux soins comme on pourrait espérer que ce soit le cas dans notre pays.

Line CABOT : Bonjour déjà. Je me présente : je suis donc médecin généraliste gériatre. Aujourd’hui, je travaille en intérim en milieu hospitalier. J’ai eu un cabinet que j’ai ouvert en 2009 et que j’ai fermé en 2016. J’avais ouvert un cabinet en milieu rural dans un village de 500 habitants parce que j’ai fait médecine par vocation. Je souhaitais vraiment être médecin traitant, médecin de famille.

La grosse problématique est qu’on ne nous laisse pas faire notre métier. Le fond du problème est réellement là. J’ai fermé mon cabinet parce que je suis trop passionnée par mon métier pour pouvoir l’exercer correctement. J’avais, à l’époque en janvier 2016, adressé une lettre ouverte à Marisol Touraine qui était ministre de la santé pour lui dire pourquoi je fermais mon cabinet.

Nous sommes devenus en fait des médecins qui vont non pas prescrire par rapport à un patient, mais prescrire par rapport à une politique. Et ça, ce n’est plus possible. Le fond du problème est là. J’entendais vous dire que le problème de ruralité… En fait, est-ce que vous savez où sont les déserts médicaux les plus importants ?

Liselotte Dutreuil : Vous allez nous le dire.

Line CABOT : C’est en Île-de-France. C’est là qu’il y a le plus de médecins, mais c’est là qu’il y a le plus d’habitants, et en fait c’est là qu’il est le plus difficile d’avoir des rendez-vous. Ce sont finalement les rapports qui le disent tout simplement.

Liselotte Dutreuil : Pourquoi alors François Bayrouveut forcer cette répartition des médecins dans les zones rurales ?

Line CABOT : Bien évidemment, dans les zones rurales aussi, il y a des déserts médicaux. L’estimation, c’est 87% du territoire qui est en désert médical.

Liselotte Dutreuil : C’est un joli score. Et pourquoi en est-on arrivé là ? C’est la question que j’allais vous poser. Il y a eu, par exemple, il y a quelques mois, quelques années encore – c’est un débat qui revient régulièrement – le débat sur le numerus clausus. Est-ce qu’on devrait permettre à plus de personnes d’exercer la médecine en France ?

Line CABOT : Le numerus clausus a été créé en 1971, pour limiter effectivement le nombre de places. Quand j’avais posé la question, quand moi j’ai commencé mes études de médecine en 89, on m’avait dit : « Plus il y aura d’offres, plus il y aura de demandes. » On ne tenait pas du tout compte de l’évolution démographique. Évidemment, je ne connais personne qui veut absolument être malade, ça n’existe pas.

Le numerus clausus a existé jusqu’en 2020, et en 2020 on a instauré le « numerus apertus ». Qu’est-ce que c’est ? En fait, une décision du nombre de places qui est prise entre l’ARS et l’université, parce qu’évidemment, on ne peut pas du jour au lendemain former des médecins en claquant des doigts. Il faut des moyens pour ça et il faut 10 ans pour former un médecin. D’abord les études de médecine, c’était 6 ans, puis 7, puis 8, puis 8 et demi, et puis 10 maintenant. Donc à chaque fois qu’il y a une décision qui est prise au niveau des études, il y a 10 ans de répercussion derrière.

Les médecins aujourd’hui font plus de 30% d’administratif. Ils passent leur temps derrière un ordinateur. Les tarifs ne sont pas suffisants, les charges ont augmenté, et on reste quand même les médecins en France qui ont les tarifs les plus bas. En fait, on ne peut plus se concentrer finalement sur le patient qui est en face de nous. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai fermé mon cabinet médical, parce que mon intérêt, c’est le patient. Le reste ne m’intéresse pas et me parasite.

Liselotte Dutreuil : Trop de lourdeur administrative.

Line CABOT : Trop de lourdeur administrative. Et puis il y a eu l’époque 2020 qui a fait que de nombreux médecins ont pris leur retraite anticipée, sont partis à l’étranger, parce qu’on nous a tout simplement empêché de soigner en 2020, faut le rappeler. Nous avons donc fondé le Syndicat Liberté Santé en 2021. Ce texte de loi qui nous amène à discuter aujourd’hui a été proposé en février 2023, et avec le Syndicat Liberté Santé, nous avons réagi rapidement dans l’année pour dire que c’était totalement contre-productif. On demande à des médecins généralistes d’aller faire des gardes en régulation, et c’est une spécialité à part, la régulation.

Liselotte Dutreuil : Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que c’est pour nos auditeurs ?

Line CABOT : En fait, les médecins généralistes libéraux font déjà des gardes. Ils sont déjà obligés de faire des gardes dans leur secteur, et là on va leur demander d’aller faire des gardes dans des services de régulation de manière obligatoire. Jusque-là, c’était incité. Il y a eu des créations de maisons de garde aussi. En fait, on se retrouve à faire de l’urgence pure et dure, et ça, c’est une spécialité à part entière, la médecine d’urgence.

Il y a un élément très important aussi à mentionner : c’est toujours les mêmes médecins qui font les gardes. Il y a énormément de médecins en France qui ne font pas de garde. Pourquoi les médecins des ARS ne font-ils pas de garde ? Les médecins embauchés par la caisse primaire d’assurance maladie ne font pas de garde. Les médecins qui sont chercheurs ne font pas de garde.

Finalement, les personnes qui décident des lois ne savent pas ce que c’est que de faire des gardes, c’est-à-dire travailler la journée, travailler la nuit, puis retravailler la journée. À un moment donné, les professionnels de santé sont des humains.

Liselotte Dutreuil : On imagine bien qu’avec sans sommeil, on imagine bien que ça peut poser ensuite certains problèmes dans la façon dont vous allez pratiquer, ça peut mener à des erreurs qu’on aurait bien évidemment du mal à vous reprocher vu l’état de fatigue et d’épuisement dans lesquels les médecins se trouvent.

Line Cabot, finalement ce que vous nous expliquez aujourd’hui, c’est qu’on a ces médecins français dont on se sert pour boucher les trous, essayer de cacher un peu la misère de l’état du pays en termes de santé. Et là où vous réclamez, comme au même titre que d’autres syndicats j’imagine, plus de liberté dans votre façon d’exercer, moins de lourdeur administrative – parce qu’il faut le rappeler, la médecine initialement, c’est quand même un métier résolument tourné vers l’humain et qui doit donc se concentrer plutôt sur ce rapport humain que sur les fiches à remplir. C’est ça que vous réclamez.

Et aujourd’hui, vous êtes face à un gouvernement qui va vous expliquer : « Non, on va encore plus durcir ce contrôle, et non content de tout ce qu’on contrôlait déjà, maintenant on va même vous imposer les lieux où vous allez exercer. » Ce texte, est-ce qu’on pourrait revenir peut-être sur ce qu’il prévoit précisément, notamment donc comment est-ce qu’on va réguler l’installation des nouveaux médecins ?

Line CABOT : En fait, le texte initial, comme je vous le disais, date de février 2023. Depuis, il y a eu plus de 125 amendements, c’est-à-dire des modifications de texte. Les votations se font en ce moment, donc c’est très difficile à suivre. Mais par exemple, ils veulent limiter les remplacements des médecins libéraux à 4 ans. C’est-à-dire que quelqu’un qui veut faire du remplacement durant toute sa vie professionnelle sera limité à 4 ans.

La problématique est que quand vous êtes censé prendre des congés – puisqu’on a quand même droit aussi à prendre des vacances – vous êtes obligé d’avoir quelqu’un qui va vous remplacer. Comment on fait s’il n’y a plus de remplaçant ? C’est toujours le serpent qui se mord la queue, puisque comme vous le dites, on est un très faible effectif et on essaie de nous mettre partout, mais ça n’a pas de sens.

Pour fermer un cabinet médical, ou même pour une infirmière ou une sage-femme, pour fermer son cabinet en libéral maintenant, il faut un délai de 6 mois.

Liselotte Dutreuil : C’est un prix à vie.

Line CABOT : Bah oui, sauf si on est très malade ou sauf si on décède. C’est mentionné quand même, heureusement qu’on le précise, mais on n’est pas à l’abri que ça change.

Liselotte Dutreuil : Line Cabot, l’un des points discutés serait la mise en place d’éventuelles pénalités financières pour les médecins qui refuseraient de se plier donc à cette nouvelle mesure de répartition. On imagine que ça vous fâche aussi. On a différents syndicats qui expliquent qu’il pourrait y avoir même une grève des médecins. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Line CABOT : Il y a déjà une grève de médecins le 29 avril. De toute façon, ce qu’ils vont réussir à faire, c’est que les médecins jettent l’éponge comme moi je l’ai fait en 2016. Ce n’est pas plus compliqué que ça. On fait 10 ans d’étude, vous imaginez ce que ça représente ?

Liselotte Dutreuil : C’est énorme.

Line CABOT : Et pendant ces 10 ans d’études, on n’a déjà pas beaucoup de liberté. Moi, pendant ces 10 ans, j’ai dormi 3h par nuit en moyenne parce qu’on était en sous-effectif. Quand on fait des stages en périphérie, c’est-à-dire des stages dans un CHU et des stages aussi dans les hôpitaux périphériques, j’étais toute seule sur des postes de deux ou trois. Évidemment, on était très peu d’internes pour assurer les gardes, donc les gardes revenaient très souvent.

Et là aujourd’hui, on nous demande à nouveau de faire ce genre de choses. À ce moment-là, on mobilise tous les effectifs, y compris les médecins chercheurs, et surtout les médecins des ARS.

Aujourd’hui, il faut bien comprendre une chose : vous passez un diplôme, un doctorat en médecine, vous devez obtenir une autorisation de pratiquer par le conseil de l’ordre. Maintenant, il va falloir obtenir une autorisation de s’installer par l’ARS.

Liselotte Dutreuil : On multiplie les autorisations, les papiers. C’est un peu la maison qui rend fou…

Line CABOT : Une autorisation par la caisse primaire d’assurance maladie. Finalement, on n’a jamais été invités dans les débats.

Liselotte Dutreuil : Bah écoutez, là en tout cas, vous semblez prendre votre place sur ce sujet-là. Pour le moment, il y a une phrase de François Bayrou qui a particulièrement fait réagir. Il a expliqué donc dans le JDD ce dimanche que, comme tous les médecins étaient rémunérés par la sécurité sociale – je mets ça entre guillemets – et bien il considère que, je cite à nouveau, « on ne peut pas bénéficier de tout ce que le pays offre sans en accepter les responsabilités ». Qu’est-ce que vous pouvez répondre à ça ?

Line CABOT : Je vais répondre à ça qu’un médecin libéral ne gagne sa vie que quand il a un patient en face de lui. C’est la première chose. Quand on passe notre temps à faire de la paperasse, on ne gagne pas notre vie, ce qui n’est pas le cas des médecins qui sont salariés. Ça, c’est une première chose.

Je ne crois pas que ce soit la sécurité sociale qui paye les charges, les assurances. Si on veut parler de sécurité sociale, savez-vous quel est le nombre de jours de carence lors d’un arrêt de travail pour un médecin ?

Liselotte Dutreuil : Vous allez nous le dire.

Line CABOT : 90 jours.

Liselotte Dutreuil : Je vois Franck faire des gros yeux derrière la vitre, des grands yeux plutôt.

Line CABOT : C’est ça. En fait, on doit payer des assurances pour ramener ces 90 jours à 15, voire 21. Ça veut dire que vous comprenez pourquoi les médecins ne s’arrêtent pas, parce qu’en fait, quand ils s’arrêtent, non seulement ils ne rentrent pas d’argent, mais ils doivent quand même en sortir pour payer leurs charges qui sont de plus en plus importantes. Moi, je veux bien qu’on parle d’égalité, je veux bien qu’on parle de rémunération par la sécurité sociale, mais à ce moment-là, il faut tout mettre sur le tapis.

Liselotte Dutreuil : Bien sûr. Et ce que lui reprochent aussi les autres porte-paroles des différents syndicats, c’est qu’en fait ils confondent quand même quelque chose d’élémentaire : c’est que la sécurité sociale aujourd’hui, elle est à disposition des Français qui, eux, ensuite vous payent. Et ce sont les Français qu’on aide à soigner, ce ne sont pas les médecins qu’on paye directement. Il y a quand même une différence.

Line CABOT : On est complètement d’accord avec ça, effectivement. Et j’aimerais mentionner aussi une chose : à l’heure actuelle, ce sont les députés qui réfléchissent sur le sujet. La profession médicale n’est pas beaucoup représentée parmi les députés. J’ai récupéré les chiffres : on est à 34 médecins, quatre chirurgiens et quatre dentistes, dont la majorité d’ailleurs n’étaient plus en activité quand ils ont été élus, sur 577 députés. Ça fait à peu près 7%.

Liselotte Dutreuil : Vous nous laissez sans voix, Line Cabot.

Line CABOT : Vous m’avez appelée hier, j’ai fait des recherches justement pour pouvoir vous donner des chiffres. Je trouve que c’est important que les Français comprennent ce qu’est aujourd’hui le métier de médecin généraliste.

Liselotte Dutreuil : Alors justement, vous avez quelqu’un qui vous dit : « J’arrête mon métier parce que je l’aime trop. »

Line CABOT : Oui, c’est terrible.

Liselotte Dutreuil : C’est quand même incroyable. C’est terrible, et c’est terrible aussi pour ces Français qui cherchent à se faire soigner et qui ne trouvent pas de rendez-vous. Nous sommes aussi des usagers, figurez-vous, et ce n’est pas parce que je suis médecin que je ne paye pas mes soins.

Liselotte Dutreuil : Bien sûr. Line Cabot, l’entretien touche à sa fin, mais merci, un grand merci de nous avoir remonté déjà la réalité de la condition des médecins aujourd’hui en France, tous ces chiffres qui ont le mérite d’être particulièrement éloquents. Et puis surtout, on vous souhaite bon courage pour la suite, autant dans votre intérêt que le nôtre. Je pense que tout le monde l’a compris. Je vois Franck à nouveau hocher la tête.

Line CABOT : Si les gens souhaitent se renseigner, on donne beaucoup d’informations avec le Syndicat Liberté Santé. Vous pouvez aller sur le site « syndicat-liberte-sante.com », et vous avez toutes les informations, tous nos communiqués. Je peux vous dire qu’on donne énormément d’informations. Il est important que les gens sachent, et on est là en fait pour défendre un système de santé à visage humain. C’est vraiment le plus important pour nous.

Liselotte Dutreuil : Et la liberté, on y est très attaché sur la radio. Chers auditeurs, on vous invite donc à vous renseigner sur ce sujet. Merci beaucoup Line Cabot d’avoir été avec nous. Je rappelle que vous êtes médecin généraliste et donc secrétaire général du Syndicat Liberté Santé.

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